Le commentaire d’Antonio Rodríguez
Sur fond de Guerre Sino-japonaise et de Seconde Guerre Mondiale, Akira Mizubayashi déroule une histoire d’amour tronquée dont la culmination sera menée par les descendants des protagonistes, leurs petits-enfants, un écrivain et un artiste déterminés à sauver de l’oubli l’histoire de leurs grands-parents par l’écriture et la musique, cette dernière ayant un effet de libération et de dépassement des ravages de la guerre sur Jun, le protagoniste masculin du triangle amoureux.
Dans les romans byzantins – Le Persiles de Cervantès, par exemple – les amants sont séparés et affrontent toutes sortes de dangers, mais sont réunis à la fin, ce qui s’appelle l’anagnorisis. Dans Reine de coeur , l’auteur réinterprète le genre, avec des retrouvailles qui se font symboliquement par le biais d’une photographie et, pourquoi ne pas le dire, matériellement avec les personnages de Mizuné et Otohiko.
Avec un début « in media res », bouleversant, d’une terrible crudité, qui affecte les trois magnifiques scènes du “Premier mouvement” – le livre est divisé en cinq mouvements, comme la 8ème Symphonie de Chostakovitch, et un épilogue -, l’auteur dénonce le génocide, le massacre de vies innocentes, l’annulation de la liberté, de tout principe éthique inhérent à l’être humain, comme dans la première scène, où le protagoniste masculin, comme le reste des soldats japonais, doit donner sa vie au nom de « Sa Majesté Impériale », sans avoir le droit de remettre en question l’irrationalité du totalitarisme qui force à l’obéissance aveugle et aux crimes les plus exécrables dans une guerre d’occupation totalement injuste en Chine.
Il faut sans aucun doute souligner la technique narrative qui rompt la linéarité temporelle de l’histoire, avec des sauts en avant et en arrière dans le temps de l’histoire ou, plutôt, des histoires narratives qui sont racontées dans une sorte de boucle ; les différentes voix de la narration ; l’utilisation de différents registres, comme dans le cas du langage poétique, plein d’images, pour décrire le son et l’interprétation de chacun des instruments dans l’Opus 65 de Chostakovitch, ou l’utilisation métalittéraire du récit dans le récit, comme les journaux intimes de Jun et Ayako, dont Otohiko s’est servi pour écrire le livre L’oreille voit, l’œil écoute. À cela s’ajoute l’importance de la musique en tant qu’élément clé du récit narratif, car elle sert d’échappatoire au chaos et à l’aliénation de la guerre et, en dernier récours montre un horizon d’espoir.
En contrepartie, on peut à mon avis critiquer certains aspects, comme la répétition excessive des mêmes événements que le lecteur connaît par différentes voix dans la narration, l’apparition de personnages secondaires introduits de justesse – l’homme mystérieux dans le bus ou le libraire et sa femme -, les expressions énigmatiques de Jun pendant son délire qui restent inexpliquées, ou encore la fin prévisible et facile.
Néanmoins, il vaut la peine de se plonger dans ce roman qui est un hymne à l’amour, à la liberté, à la paix et à l’interculturalité des peuples, qui condamne les guerres et qui, de manière très directe, désacralise la figure de l’empereur japonais et condamne l’attitude de l’élite militaire qui, au nom de « Sa Majesté Impériale », a causé des millions de morts à l’intérieur et à l’extérieur du Japon.
Antonio
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